Le traçage de la frontière romaine ou Limes, comme le démontrent les cartes, coupe dans un sens méridional la ligne de parcours du circuit caravanier au niveau de la région du Sud-Est tunisien, de part et d’autre du « Jbel » séparant le plateau du Dhahar de la plaine de la Jeffara. Ce Limes a été réalisé dans le but de préserver le «pays utile» des assauts des nomades, d’une part, et pour mieux contrôler le circuit du commerce transsaharien par la taxation du trafic caravanier transitant vers le tell et les steppes du nord de l’«Africa» (Tunisie actuelle), d’autre part. «De point d’eau en point d’eau, ces pénétrantes romaines suivaient tout naturellement les grands itinéraires traditionnels de la transhumance... »
Arabe |
Français |
Latin |
نفﻁﺔ Nafta | Nefta | AGGASSEL NEPTE |
ﺭﺯﻮﺘ Tozor | Tozeur | TEZAURUS |
دوز Duz | Douz | DUZ |
المنصورة Mansura | Mansura | CIVITAS NIJENIORUM |
تلمين Thlemin | Telemin | TURRI TAMELLANI |
قبلي Gbilli | Kebilli | AD TEMPLUM |
الصنم As’nam | Es Nam | (nome non identificato) |
غيزن Bir Ghezen | Bir Ghezene | BEZEREOS |
مرقب اذياب Margab ad Dieb | Margab Edieb | (nome non identificato) |
قصر غيلان Kasr Ghilane | Ksar Ghilane | TISAVAR |
برج زميت Borji Zummit | Borgi Zummit | TIN ZIMET (berbero) |
قصر ترسين Kasr Tarsin | Ksar Tarcine | TIBUBUCI |
رمادة R’mada | Remada | TILLIBARIS |
غدامس Ghadams | Ghadames | CIDAMUS |
D’après Trousset. P, la grande centuriation a été réalisée par C. Vibius Marsus sous le règne de Tibère, au lendemain de la guerre de Tacfarinas et à la différence des fouilles archéologiques précédentes, ce ne sont pas des traces au sol mais bien des bornes gravées qui la révèlera. D’après les coordonnées inscrites sur ces bornes, Trousset a restitué plus précisément le schéma d'arpentage des mensores de la IIIe Légion Auguste et leur cheminement topographique à partir de leur quartier d’Ammaedara jusqu’aux abords de la Petite Syrte.
L’armée romaine construira le long du Limes des camps et des ouvrages à vocation hydrauliques (à Koutine-Medenine) pour le ravitaillement de ses troupes et surtout des stations de défenses stratégiques comme la station de défense de Tillibari (Remada) de Talalati (Tlalet) (voir photos ci-après).
Photos : Pierre taillée (1,20m/0,50m) trouvée dans les ruines d’une ancienne construction romaine (Station de défense) à Tlalet (Talalati), dans la région de Tataouine (Sud-Est tunisien) (photos Laroussi.K.2004)
Le commerce caravanier des romains s'étendait jusqu'aux confins du Fezzan et touchait des produits aussi variés que les plumes d'autruches, les fauves destinés aux arènes et les défenses d'éléphants. La perception des taxes sur le commerce à travers cette ligne se fait aux points de passage de Tillibari (Remada) Oum Rniss Ayet et Martei (Mareth).
On dénombre aussi un nombre d’avant-postes militaires placés en sentinelles sur les pistes sahariennes à Tisavar (Gasr Ghilène, photos ci-après) et le præsidium de Si Aoun pour le limes tripolitanus dans le Sud tunisien.
Photos : Gasr Ghilène (Sud tunisien) ou l’avant-poste militaire de Tisavar pendant l’époque romaine. (photos Laroussi.K.2004)
G. Camps indiquait que : « Rome avait réussi, pendant quatre siècles, à contrôler les petits nomades des steppes ; grâce au système complexe du limes, elle contrôlait et filtrait leurs déplacements vers le Tell et les régions mises en valeur. C’était une organisation du terrain en profondeur, comprenant des fossés, des murailles qui barraient les cols, des tours de guet, des fermes fortifiées et des garnisons établies dans des castella. R. Rebuffat, qui fouille un de ces camps à Ngem (Tripolitaine), a retrouvé les modestes archives de ce poste. Ces archives sont des ostraca, simples tessons sur lesquels étaient mentionnés, en quelques mots, les moindres événements : l’envoi en mission d’un légionnaire chez les Garamantes, ou le passage de quelques Garamantes conduisant quatre bourricots (Garamantes ducentes asinos IV…). Dès le IIème siècle, des produits romains, amphores, vases en verre, bijoux étaient importés par les Garamantes jusque dans leurs lointains ksour du Fezzan et des architectes romains construisaient des mausolées pour les familles princières de Garama (Djerma). Légionnaires et auxiliaires patrouillaient le long de pistes jalonnées de citernes et de postes militaires autour desquels s’organisaient de petits centres agricoles».
La ligne de conjonction entre les installations militaires délimitait les terres de l’empire et les territoires des tribus nomades (Numidie), cette ligne jalonnée par des points d’appui fortifiés constituait le Limes Tripolitanus dont le Sahara tunisien abrite encore aujourd’hui les restes.
Quelques-unes de ces ruines témoignent d’installations très importantes du point de vue de la stratégie défensive comme Margab ad Dieb. Ici on ne trouve pas seulement l’enceinte des murailles sur les collines près du Bir ben Issa, mais aussi une digue à l’intérieur de l’Oued dotée de citernes latérales pour la collecte d’eau. Il y avait aussi d’autres avant-postes moins importants comme ceux de Tibubuci, Tissavar qui étaient les derniers postes de garde avant le grand «Erg Oriental».
Il existait bien une voie romaine ouverte sous Trajan (104 ap. J.-C.) reliant à travers les Nemencha Lambèse à Négrine puis Négrine à Biskra. De Negrine, la voie de cette liaison entre les postes du limes romain continuait vers le Jérid (Tezaurus et Nepte, Tozeur et Nefta) en passant par Tameghza et Chebika (ad speculum). L'occupation romaine s'arrêtait sur une ligne située à une cinquantaine de kilomètres de la région des chotts algériens.
Jusqu’à nos jours, on n’a pas de confirmation historique sur le franchissement des expéditions romaines le limes, Il fallut attendre la conquête islamique de l’Ifriqiya et l’arrivée des arabes pour inaugurer la période des expéditions transsahariennes facilités par la généralisation de l’utilisation du dromadaire (symboliquement appelé dans la littérature arabe classique : « le bateau du désert »).
Dès le VIIIe siècle, des expéditions ont été organisées par les premiers conquérants musulmans vers le Sénégal (en 720). Le circuit caravanier qui s’est étendu vers la partie centrale du Sahara et l’ouest africain à partir du VIIIe et Xe siècle, s’est organisé autour de nouvelles villes le long de ses parcours (Sijilmassa, Tombouctou, Goa, Kano, Bornu...).
Bibliographie
- Al Iraki Ahmed. 1984. Le commerce caravanier entre le Nord et l’Ouest africain et son impact civilisateur / ed. par Institute of the arab Research & studies. Baghdad : ALECSO :, p. 147-160 ; p. 149. (Convoy’s trade & it’s civilized role up to the end of the ninteenth century).
- Gabriel Camps. Comment la Berbèrie est devenue le Maghreb arabe. Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1983, n°35, Aix-en-Provence, p. 7-24.
- Massimo et Marino Zecchini. 2004. Sahara tunisino, guida ai pozzi e alle sorgenti. Centre d’études et de recherches sahariennes Douz-Tunisie, 180 p.
- René Letolle, Hocine Bendjoudi. 1997. Histoires d'une mer au Sahara. Utopies et politiques. Paris : L'Harmattan , p. 79.
- Pol Trousset. 1995. Les centuriations romaines de Tunisie. Dossiers de l'Archéologie (La Tunisie, carrefour du monde antique), n° 200, janv.-fév., p. 70-81.
- Pol Trousset. 1971. Recherches sur le limes Tripolitanus du Chott El-Djérid à la frontière tuniso-libyenne. Thèse : Histoire de l’Art et Archéologie : Université de Provence centre d’Aix :, 177 p.
- John Wright. 2001. The slave trade routes of the central Sahara / ed. by Barnaby Rogerson. London : Sickle Moon Books, p. 55-68 ; p. 56. (North Africa Travel).